Les infirmières ne sont pas des Pénélope !


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Cet article a été publié le par Brigitte Femenia et a été consulté 1.950 fois.

Paris, le samedi 4 février 2017 – Longtemps, les professionnels de santé ont été traités comme des intouchables. Vocation, sacerdoce, sacrifice : les termes utilisés pour décrire leur activité n’étaient pas loin du sacré. Mais, cette image d’Epinal a laissé place à une attitude plus critique. Les médecins notamment sont désormais régulièrement épinglés. Plus que leur dévouement pour leurs malades, c’est leur propension à appliquer des dépassements d’honoraires qui retient l’attention.

Actes gratuits

Les infirmières n’échappent pas à cette vague de fond. Le 26 janvier dernier, un reportage diffusé sur France 2 a piqué au vif plusieurs d’entre elles. Ce soir là, David Pujadas fait des révélations juteuses. « Deux-cent trente et un millions d'euros, c'est la fraude à l'assurance maladie. +46 % en cinq ans. Attention, il ne s’agit que de la triche "détectée", autrement dit la partie émergée de l'iceberg. Actes fictifs, surfacturations, les professionnels de santé sont les premiers fraudeurs. Alors comment font ceux que l'ont appelle les "Détectives de la Sécu'" ? » introduit le journaliste vedette du JT. Déjà, un grand nombre d’infirmières devant leur poste commençaient à bouillir. L’auteur du blog C’est l’infirmière imagine ainsi facilement le désarroi du médecin contacté devant les caméras de télévision par « Martine, la nana de la CPAM ». « Elle appelle le médecin qui doit se sentir tout con d'un coup de devoir justifier de son travail auprès d'une nana qui ne sort jamais de son bureau pour voir comment ça se passe sur le terrain, dans les cabinets des médecins de ville et de campagne. Une nana qui ne se doute peut-être pas que ce même médecin en a peut-être ras le bol de fermer la porte de son cabinet le soir en se disant qu'il a encore effectué une vingtaine d'actes gratuits (mais non fictifs) aujourd'hui. Parce qu'il y a ces ordonnances demandées par téléphone à déposer au secrétariat, ces coups de fils pour rassurer la patientèle ou pour assurer la continuité des soins, ces bonus de fin de consultation dont il se passerait bien où le mari de la femme tout juste auscultée dit qu'il tousse aussi mais qu'il n'a pas sa carte vitale...Alors le médecin tousse lui aussi, mais de ras le bol de se dire qu'il va encore s'asseoir sur une consultation. Et puis il y a ce petit monsieur qui a besoin d'un renouvellement de son ordonnance. Il s'y est pris un peut tard, il s'excuse au téléphone, il demande si le médecin peut la lui faire quand même et le médecin accepte. Et le docteur facture à distance l'acte sans la carte vitale, pour une fois, parce qu'il en a peut-être marre de bosser gratuitement... » résume-t-elle, en un paragraphe qui montre que les ancestrales brouilles entre professionnels de santé peuvent être dépassées face à certaines attaques.

Coup de grâce

Mais le coup de grâce fut lorsque la voix off du reportage asséna : « Au niveau national, les premiers fraudeurs sont les infirmiers libéraux, 55 % ». Pour les infirmières, l’indignation est unanime. « Bam ! Le téléspectateur souffle d’agacement et moi, infirmière libérale, je souffre d’écœurement » écrit ainsi la plume de C’est une infirmière. « Vous êtes 92 % de professionnels de santé sur les 100 % de fraudeurs selon le rapport de la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF). Parmi ces 92 % de soignants malhonnêtes, 55 % sont des infirmiers libéraux. Fraudeur un jour, fraudeur toujours me direz-vous ! On ne parle évidemment pas des 8 % restant pas plus que de la somme qu’ils auraient pu détourner. Il faut avouer que lors de ce genre de déballage médiatique, les chiffres plutôt monstrueux, sont égrenés tels des neuvaines sur un chapelet » ironise, furibonde, l’auteur de La seringue atomique.

Une nomenclature obsolète

Si les infirmières blogueuses se montrent si en colère, c’est que se contentant de lancer des invectives, le reportage n’a pas cherché à déterminer ce qui se cachait derrière cette fraude orchestrée par les infirmières libérales. Or, les infirmières ont des pistes que les « détectives de la Sécu » ont ignorées. « Je venais de soigner quelqu’un et je ne serais jamais payé (…). Pourquoi ? Parce que la CPAM m'interdit tout simplement de cumuler plusieurs actes en même temps m'empêchant ainsi de les facturer et d'être payée quand bien même je l'aurai soigné entièrement ce monsieur » décrit par exemple l’auteur de C’est l’infirmière. Cette dernière aborde encore une fois le sujet de l’aberration de la facturation des actes dans un post consacré à une infirmière harcelée par sa CPAM. « Les forfaits hospitaliers "empiètent" sur nos heures de présence au domicile de nos patients et il n’est pas rare de voir nos soins rejetés par les sécurités sociales qui ne comprennent pas (sans pour autant nous appeler), comment nous pouvons soigner des patients enregistrés comme " présents" dans des services dont ils n’ont pourtant pas encore franchi les portes » décrit-elle par exemple. D’une manière générale, elle constate que « La nomenclature des soins éditée par la CPAM qui régit nos actes est obsolète mais tout le monde s'en fout. (…).Tout ce que veulent les gens ce sont des reportages sur France 2 qui font grincer les dents des contribuables » tempête-t-elle.

Six euros pour cinq soins

Outre l’absence d’approfondissement du reportage de France 2, les infirmières ont été heurtées par le manque de considération pour la difficulté du travail d’infirmière. En guise d’aperçu, C’est l’infirmière indique qu’elle a découvert le reportage en rentrant « à mon cabinet après sept heures de soins non-stop avec une otite qui m'arrachait l'oreille depuis des jours et une fièvre persistante qui m'aurait donné envie de me vautrer sous la couette en chialant. J'ai jeté ma mallette de soins sur le fauteuil de prélèvement en tentant de dénouer mon épaule douloureuse avant de remplir à nouveau cette sacoche qui me permettrait d'aller soigner mes patients du soir ».

Plus encore, les blogueuses remarquent que l’évocation de la fraude des infirmières permet d’occulter les véritables enjeux. D’une part, les tarifs ridiculement bas des actes infirmiers. « Un pansement, une prise de sang, une injection, une pose de bas et des collyres facturés un soin et demi. Trente minutes passées chez mon patient pour 5 € 71 net » énumère ainsi C’est l’infimière. « Le mois dernier, je sortais de chez un patient épuisé par son cancer. 45 minutes de soins à genoux au plus près de lui pour le soigner : deux pansements, deux injections et une prise de sang… Pour 6€ net. 6€ pour cinq soins » décrit-elle dans un autre post.

La campagne fait retour

D’autre part, elles s’indignent contre l’absence de prise en charge d’un grand nombre de soins, privant souvent les patients. « La semaine précédente, j’ai dû expliquer à une vieille dame excédée aux doigts déformés par l’arthrose que je ne pourrais pas instiller ses collyres post-cataracte car ce soin n’était inclus dans la nomenclature (NGAP) que tu as édité. J’aurais dû lui facturer ses soins sans lui permettre d’être remboursée mais sa retraite d’agricultrice ne le lui permettait pas. La problématique a été soulevée quelques maisons plus loin chez cette dame qui m’appelait pour que je traite une nouvelle fois ses plaies d’ulcère que la pose journalière de bas de contention pourrait pourtant éviter. Mais la dame n’avait pas suffisamment de ressource pour payer ces soins que la CPAM refuse d’inclure dans sa nomenclature et ses mains étaient trop faibles pour enfiler ses bas. Depuis, elle cumule les soins de pansements qui eux sont remboursés et coutent bien plus chers aux contribuables » relève C’est l’infirmière. Bien sûr, le parallèle entre ces accusations de fraude et l’affaire Pénélope Fillon est inévitable. « Madame Fillon n'aurait pas travaillé et aurait quand même touché un salaire, c'est dingue. Moi, je venais de soigner quelqu'un et je ne serais jamais payé, c'est con » écrit C’est l’infirmière.

« Ils ont parlé de vous »

Les infirmières pourraient espérer que l’attachement des patients permettra d’éviter que ces derniers voient leur perception déformée par un tel reportage. Mais, elles ont peu d’illusion. La petite infirmière dans la prairie raconte ainsi comment une de ses patientes lui a asséné : « "À la télé, ils ont parlé de vous ? (…). Ils ont parlé des fraudes. Il y en aurait qui frauderait et ça ferait le trou de la Sécu". J’étais en train d’écrire le nom de ma patiente sur les tubes et j’ai failli m’étrangler. J’ai regardé la dame et lui est demandé calmement si elle pensait que c’était la vérité. "Ben, j’en sais rien moi. S’ils le disent au journal télé, ça doit être vrai… ". J’ai soufflé un bon coup, et j’ai tenté d’expliquer à ma patiente que ce n’était pas la majorité. Que les cas de fraude comme elle dit ne sont pour la plupart pas fait intentionnellement. Je lui ai parlé pour nous les infirmiers de la pose de bas à varices ou les gouttes ophtalmiques qui n’entrent pas dans nos cotations mais qui sont parfois demandées. Je ne voulais pas la convaincre à tout prix mais lui expliquer. Seulement voilà, face au journal de 20 heures, je n’avais pas beaucoup de poids. Je ne la ferai sans doute pas changer d’opinion. Elle écoutera certainement plus un homme assis à un beau bureau à l'intérieur son petit écran que son infirmière. Pourtant, elle sait que les professionnels de santé qu’elle côtoie se démènent pour assurer la continuité des soins. Elle se rend compte que le jour où elle devra se rendre à l’hôpital, elle sera bien contente d’appeler l’ambulancier. Que lorsqu’elle sera mal, elle consultera son médecin traitant et que son infirmière se déplacera pour lui prodiguer les soins dont elle a besoin. Ce n’est pas le présentateur du journal télé qui viendra. Non, c’est nous. Du moins, temps que nous le pouvons encore… » conclue la blogueuse.

Témoignage parmi d’autres de la difficulté d’appréhender en quelques minutes à la télévision l’étendue d’un problème complexe et du risque que représente la révélation de pseudo scandales, ce reportage continuera longtemps à hanter la profession infirmière comme un stigmate de leurs souffrances actuelles. On le constatera en lisant les blogs de

C’est l’infirmière :

La seringue atomique

Et La petite infirmière dans la prairie

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