Après l'agression d'une infirmière libérale dans l'Aisne, ses collègues expliquent se sentir menacés et dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail. La Fédération nationale des infirmiers demande une réaction rapide des pouvoirs publics.

L'inquiétude est palpable chez les infirmiers libéraux de l'Aisne. Sandra* est encore sous le choc. Cette infirmière libérale a été prise en chasse par un véhicule, à 7h du matin, il y a une semaine, à Villeneuve-Saint-Germain, près de Soissons, dans l'Aisne. À son bord, deux hommes alcoolisés et drogués, ont tenté de la pousser à l'accident.
"Je me suis retrouvée en face d'une voiture en plein milieu de la route qui ne voulait pas se déplacer, donc je leur ai demandé gentiment de se déplacer pour que je puisse passer et le jeune homme, d'un ton agressif, m'a fait des grands gestes pour me dire, en gros : dégage", détaille la jeune femme.
"Il avait un ballon de baudruche à la bouche, et j'ai fait mon demi-tour pour repartir de ce lieu. Il est venu derrière la voiture, en plein phare et en klaxonnant, en faisant des slaloms pour provoquer un accident. Donc j'ai pris un rond-point, il a essayé de me percuter à l'inverse du rond-point". L'infirmière a été suivie sur près d'un kilomètre avant que la voiture ne finisse par faire demi-tour.
"J'aurais pu être victime d'un accident"
Sandra pense que le conducteur a tenté de la percuter par la gauche pour qu'elle tape "le bac à fleurs en béton qui se trouvait sur la droite". Elle souligne qu'il y avait "quand même une grande mise en danger, j'aurais pu avoir un accident, ça aurait pu avoir de grandes conséquences : une voiture qui arrive en face, un piéton qui traverse. Il fait noir, on est stressé, angoissé par la poursuite, ça aurait pu être plus dramatique".
Depuis, Sandra vit difficilement ce qui lui est arrivé et confie faire des insomnies, avoir perdu l'appétit et avoir "cette boule au ventre quand on se lève le matin". C'est la première fois qu'elle se retrouve dans une situation de cette ampleur, même si elle a déjà connu la dégradation de sa voiture. "Déjà, au moment du Covid, on a eu des voitures saccagées pour du vol de matériel, tout ce qui était gel hydroalcoolique, gants, ces choses-là. Ça devient difficile, on en parle avec la boule au ventre".
Elle n'emprunte plus certains chemins par peur et a changé ses itinéraires. "Pour ma part, j'ai changé certains patients de plage horaire parce qu'on angoisse", avoue-t-elle. Si une plainte a été déposée, que la police a interpellé et placé les deux jeunes en garde à vue, Sandra n'est plus sereine.
Le climat anxiogène en ce moment en France, avec toutes ses agressions, qu'elles soient verbales ou physiques, nous met mal à l'aise.
Patrick Lesoudard, président de la fédération nationale des infirmiers de l'Aisne
"On est toujours un peu sur nos gardes"
Le constat est similaire pour Natacha Cobert, également infirmière libérale à Soissons : "quotidiennement, on ne se sent pas en sécurité, peu importe le quartier de la ville, on est toujours un peu sur nos gardes, à regarder à droite, à gauche, avant de sortir de la voiture". Elle tente même de se garer au plus proche du domicile du patient pour avoir le moins de trajet à faire à pied.
En effet, l'infirmière affirme avoir déjà été intimidée en voiture par un autre individu qui lui a bloqué la route volontairement. Elle se dit "très anxieuse" dès que la nuit tombe ou quand le soleil ne s'est pas encore levé. "C'est là où je suis beaucoup plus sur mes gardes, et après, j'ai une capacité à me détacher, à faire la part des choses entre le travail et le professionnel. Du coup, une fois que je rentre chez moi, ça va, mais on n’est pas toujours serein en voiture".
Elle ajoute qu'une insécurité existe aussi chez certains patients. Un sentiment qu'observe aussi Patrick Lesoudard, président de la fédération nationale des infirmiers de l'Aisne, chez d'autres collègues. "Les patients sont de plus en plus exigeants que ce soit en ville ou à l'hôpital, on a vu monter en charge cet état de fait", déplore-t-il.
Quand j’ai commencé en 2019, ce n'était pas comme ça. Je ne vais pas dire que je me sentais en sécurité, mais je ne me sentais pas en insécurité, en tout cas.
Natacha Cobert, infirmière libérale
Il constate que les agressions et intimidations ont lieu tous les jours, qu'il s'agisse de l'Aisne ou d'autres départements. "Des professionnels de santé qui se déplacent à domicile se font agresser. Il n'y a pas que les infirmières libérales ou infirmiers libéraux. Il y a aussi nos collègues médecins dans leur cabinet, nos collègues pharmaciens dans leur officine, les kinés également à domicile", décrit Patrick Lesoudard. Il pense aussi à ses collègues des urgences, des centres hospitaliers et même "des services".
Le président regrette qu'il s'agisse d'une profession exposée, d'autant plus qu'ils sont "quand même 160 000 infirmiers libéraux en France qui soignent 4 millions de patients par jour". C'est pourquoi, actuellement, l'état d'esprit est à "la révolte". "À un moment donné, ça suffit. Il faut que ça s'arrête. On espère que nos autorités de tutelle vont prendre le relais et prendre à bras-le-corps ce problème parce que sinon, très clairement, on n'ira plus à domicile", conclut-il. Le syndicat explique étudier des solutions pour mieux protéger les infirmiers libéraux.
*Le prénom a été modifié
Avec Rémi Vivenot / FTV