DOSSIER DE PRESSE – MOBILISATION DU 24 janvier 2017


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Cet article a été publié le 24/01/2017 par Brigitte Femenia et a été consulté 2.084 fois.

Les suicides de nos collègues ainsi que les agressions dont ils (elles) ont été victimes, médiatisés (ou non) au cours de ce tragique été 2016, ont mis en exergue le malaise soignant créant de multiples réactions sur le terrain au regard des faits mais également du silence ministériel. Bien au-delà de clivages corporatistes ou de divergences de vues, les organisations professionnelles syndicales et associatives AEEIBO, ANFIIDE, ANPDE, CEEIADE, Convergence infirmière, CNI, SNIA, SNICS-FSU, SNIES-UNSA, SNIPUERLIB, SNPI CFE-CGC, UNAIBODE , UNEF, UNIDEL font le choix de s’unir pour dénoncer d’une même voix le mépris et le manque de reconnaissance dont la filière infirmière est victime.
Fortement mobilisées suite à ces drames, nos organisations posent aujourd’hui le constat commun alarmant des conséquences du manque de considération concernant aussi bien nos conditions d’exercices, notre formation que la valorisation de nos niveaux d’études, de compétences et de responsabilités.
Ce document établit ainsi un premier état des lieux et acte nos propositions communes.

1. NOS CONDITIONS D'EXERCICE

Ces dernières années, les exigences de réduction des dépenses de santé ont induit une forte dégradation des conditions d'exercice. Quel que soit le secteur d'activité, les professionnelles souffrent de cette logique du chiffre qui occulte trop souvent la dimension relationnelle du soin, les missions d'éducation et de prévention. Très attachées à leurs valeurs professionnelles et à garantir qualité et sécurité des soins et des patients, les infirmières se retrouvent cependant exposées à une multitude d'injonctions paradoxales d'où un malaise croissant. Le décalage entre les attendus en termes de traçabilité et de recommandations confrontés à la réalité du terrain majorent les difficultés et le nombre de professionnelles en situation d'épuisement.

Dans ce contexte complexe, ce mal-être se trouve amplifié par la crainte de l'erreur et l'engagement de sa responsabilité professionnelle. Au fil des réformes et suite à un manque de concertation des acteurs concernés, un fossé s'est creusé entre les besoins identifiés sur le terrain et les moyens donnés. Le vieillissement de la population, l'essor des maladies chroniques, l'évolution des technologies induisent des prises en charges de plus en plus spécifiques mais paradoxalement sur le terrain, semblent s'imposer des obligations de polyvalence pour répondre à des objectifs essentiellement financiers. Et c'est ainsi que dans les établissements, pour répondre aux demandes budgétaires, l'exercice en sous effectifs, le non-respect des rythmes de travail et des temps de repos deviennent la règle.

En ce qui concerne la santé de l'Enfant et de sa famille, hors milieu scolaire qui relève de la compétence du corps des infirmières de l'éducation nationale, les infirmières puéricultrices déplorent le non-respect de la législation quant à leur intégration dans les secteurs de soins accueillant des enfants et des adolescents. La formation initiale ne contenant plus d'apports théoriques et pratiques, la formation d'infirmières puéricultrice nous semble donc obligatoire pour travailler auprès des enfants et de leurs familles. Elles demandent donc une obligation de présence dans ces secteurs si spécifiques.

Dans le même temps, les infirmières libérales subissent :

- une « distorsion de concurrence » du « tout structure » HAD, SSIAD, SPASSAD sans respect des critères d'inclusion et du libre choix du patient.
- Les pressions exercées par les cpam contre des soi-disant « abus » qui deviennent des abus de contrôles.
- Une nomenclature d'un autre temps complètement obsolète.
- Les protocoles de coopération qui permettent des glissements de tâche.
- Le démantèlement de nos compétences dont le but est la création de soins lowcost et l'ubérisation de notre exercice.
- L'explosion des charges qui entraine des faillites pouvant aller jusqu'au suicide
- Le déni de reconnaissance de nos compétences dans les soins primaires.
- La mise en place de plateformes de coordination véritables OVNI technocratiques dont le but et de détourner le patient vers les structures.
- La non-reconnaissance de la pénibilité de notre travail, malgré une obligation de continuité des soins 24h/24h et 7j/7j et des contraintes qui s'amplifient,
- Un dialogue inexistant sur les sujets de santé publique alors que les infirmières sont les professionnelles de santé les plus nombreux et les plus proches des patients et des familles,
- le projet du ministère de la santé de vouloir transposer des directives européennes en autorisant un exercice partiel des professions. Cette initiative, qui met en péril la qualité des soins, est une fois encore l'expression du mépris et de l'absence de reconnaissance témoignés à la filière infirmière.

Le texte a suscité depuis plusieurs mois de vives inquiétudes chez les professionnelles de santé. Malgré un vote défavorable du Haut Conseil des Professions Paramédicales, le ministère poursuit et l'ordonnance à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé a été publiée au Journal officiel ce 20 janvier 2017.

Face à la montée des violences verbales et physiques, de plus en plus de professionnelles avouent se rendre au travail “la boule au ventre”.

Qu'elles/ils exercent en structures, au domicile des patients ou lors de leurs déplacements, ces constats alarmants s'amplifient, s'étendent et viennent mettre en péril la garantie de soins de qualité pour tous les patients. Comment, en effet, peut-on exercer sereinement et assumer nos responsabilités professionnelles au quotidien avec ces sentiments de peur ? Nous déplorons aussi qu'après les coups reçus, les professionnelles soient parfois contraintes à livrer bataille pour faire enregistrer leur plainte. La première des priorités réside dans la sécurisation de nos exercices. Afin d'améliorer la qualité de vie au travail et permettre de restaurer de bonnes conditions d'exercice, il convient de s'attacher à définir les besoins humains non pas uniquement par une approche numérique mais bien sous l'angle des compétences nécessaires pour garantir la pertinence et l'efficience des soins. Les restructurations hospitalières doivent donc impérativement prendre en compte une adéquation des effectifs à la charge de travail réelle. Il importe de retrouver des espaces de dialogue et de mettre en place une gestion bienveillante et respectueuse des soignants au sein des établissements de soins.

Les professionnelles de santé doivent également bénéficier d'un suivi médical attentif. Les moyens doivent donc être donnés pour garantir la présence de médecins du travail, d'infirmières spécialisées, de psychologues et d'assistantes sociales. La prévention des risques psychosociaux ne doit plus se limiter à la rédaction de plan d'action. Des actions concrètes doivent s'engager, pouvoir être évaluées et mutualisées.

Développer la prévention et prendre en charge les professionnelles en souffrance est effectivement nécessaire mais l'urgence ne réside-t-elle pas à traiter les causes du mal ? Cette dégradation des conditions d'exercice et la détresse qu'elle induit, résulte avant tout de la problématique des moyens. Il est donc impératif d'attribuer les fonds nécessaires au fonctionnement du système de santé.

2. NOTRE FORMATION

Les étudiantes des formations initiales et de spécialisation souffrent aussi particulièrement des conditions d'exercice imposées aux professionnelles. Le manque de personnel nuit à la capacité de ces derniers à accompagner les étudiantes dans leur processus d'apprentissage et dans le développement de leur identité professionnelle. Nombre d'étudiantes terminent leur formation avec pessimisme, conscientes des difficultés qui seront les leurs à mettre en pratique des soins de qualité et à utiliser pleinement leurs compétences au service de la santé de la population.

De plus, elles/ils souffrent tout autant que les professionnelles d'une absence de reconnaissance de leur travail quotidien, à bien des égards, utile quant à la production de soins, que ce soit du point de vue de leur indemnisation ou de la traduction universitaire de leur diplôme. Investir aujourd'hui dans la qualité de la formation et dans les conditions d'étude est un gage de pérennité de la qualité des soins que prodigueront ces futures professionnelles. Les encadrants, notamment les tuteurs/tutrices de stage doivent pouvoir disposer de temps dédié afin d'effectuer le suivi des étudiantes qu'elles/ils encadrent. Ces étudiantes doivent pouvoir disposer de niveaux d'indemnisation à la hauteur de leur contribution actuelle et future à la santé de la population. Ils doivent aussi disposer d'aides sociales leur permettant de s'engager sereinement dans des formations demandant beaucoup d'investissement personnel, intellectuel et temporel. Cette reconnaissance doit concerner l'ensemble des temps de formation, y compris les poursuites d'études en spécialité ou en hiérarchie.

Ainsi, les travaux de réingénierie des formations d'infirmières de bloc opératoire, d'infirmières puéricultrices et de cadres de santé doivent aboutir et déboucher sur leur reconnaissance au grade de Master 2. Il est important de souligner également que la traduction statutaire des formations déjà réingénierées graduées Master 2 (IADE) n'est pas effective. Ce fait est révélateur de la non-reconnaissance de nos filières. Certaines professions, mettant en jeu des compétences beaucoup plus abouties que celles développées en formation initiale, doivent être reconnues en spécialité, telle que la santé mentale, la santé au travail et l'éducation en santé dans l'Éducation Nationale ou l'Enseignement supérieur. Il ne doit pas être oublié que les professionnelles de santé et a fortiori les infirmières, spécialisées ou non, s'inscrivent aussi, par besoin, conscience professionnelle et obligation dans une démarche continue de formation et d'actualisation de leurs compétences. Il est ainsi totalement aberrant que le suivi d'heures de formation continue ou l'obtention de D.U (diplôme universitaire) ne permettent pas l'obtention, par exemple, d'un certain nombre d'ECTS qui, à terme, soient valorisés comme cela s'effectue dans certains autres pays étrangers. Dans le contexte de mutation que vit notre système de santé, il est aberrant que le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale prévoie un prélèvement de 300 millions d'euros sur les fonds de l'Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier (ANFH), alors que les besoins de formation croissent et que ces fonds permettent à nombre d'agents d'évoluer par la formation professionnelle.

3. VALORISATION DE NOS NIVEAUX D'ÉTUDES, COMPETENCES ET RESPONSABILITES

L'entrée dans le processus Licence Master Doctorat (LMD) de la filière infirmière s'est actée en 2009 avec un nouveau référentiel de formation initiale qui se conclue depuis 2012 par un Diplôme d'Etat et l'attribution d'un grade de Licence. Cette évolution se poursuit avec le référentiel de formation des infirmières anesthésistes actant le grade de Master adossé au Diplôme d'Etat depuis 2014.

Malgré les engagements pris et renouvelés par la Grande Conférence de Santé, les travaux de réingénierie des formations d'infirmières de blocs opératoires, d'infirmières puéricultrices, de cadres de santé sont toujours en attente. Cette suspension des travaux se prolonge alors que depuis le décret du 27 janvier 2015 relatif aux actes relevant de la compétence exclusive des Infirmières de Blocs Opératoires, le champ des compétences des IBODE s'est élargi.

La reconnaissance financière de ces évolutions s'est traduite dans la fonction publique par la création d'une grille A spécifique à la filière infirmière qui n'est pas à la hauteur ni de la grille A type de la Fonction Publique, ni de nos compétences, ni de nos responsabilités. De surcroît, ce nouveau statut s'inscrit en catégorie sédentaire soulignant la négation de notre pénibilité professionnelle. Une injustice majeure dénoncée en 2010 par Madame Touraine, alors députée, mais toujours en attente de réparation.

Face aux besoins croissants des structures et de la population, les professionnelles de la filière infirmière tentent de répondre au mieux, s'impliquent et se forment. Leur investissement professionnel et souvent personnel n'est reconnu ni financièrement, ni institutionnellement ce qui génère découragement et perte de compétences.

La reconnaissance de l'expertise infirmière mais aussi de la recherche infirmières sont de réelles plus-values pour notre système de santé mais il est impératif que cela s'inscrive, dans un cadrage de formation national connu et reconnu afin qu'elles puissent être mobilisées et attractives.

Synthèse des revendications communes

1. Sécurisation de notre exercice quel que soit notre secteur d'activité :
- Favoriser l'accès et accompagner les professionnelles de santé pour les
démarches de dépôt de plainte,
- Donner les moyens de sécuriser l'exercice.

2. Améliorer les conditions d'exercice pour garantir la qualité et la sécurité
des soins :
- Révision du plan triennal de maîtrise des dépenses de l'assurance
maladie,
- Attribution de fonds permettant aux établissements de soins la mise en
place d'effectifs proportionnels aux charges de travail (charge de travail
incluant la fonction tutorale // encadrement), le remplacement de
l'absentéisme ainsi que la gestion des postes aménagés,
- Restaurer des espaces de dialogue et créer une gestion bienveillante et
respectueuse des soignants au sein des établissements,
- Permettre un suivi médical attentif des professionnels de santé (présence
de médecin du travail, d'infirmières spécialisées, de psychologues et
d'assistants sociaux,
- Développer la prévention des risques psychosociaux avec
accompagnement financiers pour en garantir l'effectivité,
- Respecter la législation et imposer l'obligation d'intégrer les infirmières
puéricultrices dans les secteurs soins de l'Enfant.
- Reconnaître la pénibilité professionnelle.

3. Afin de permettre aux plus de 600 000 infirmières et infirmiers de France de
jouer pleinement leur rôle de professionnel de santé, il est impératif de :
- Inclure systématiquement les professionnelles de la filière infirmière dans
toutes leurs composantes (exercice salarié, libéral, éducation nationale…)
dans toute concertation sur les sujets de santé publique, au même titre
que les médecins,
- Retirer l'ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la
reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la
santé,
- Accélérer et finaliser les travaux concernant la pratique avancée,
- Réactualiser le décret d'actes et d'exercice infirmier de 2004. Ce décalage
entre la réglementation et les pratiques quotidiennes entraine une
insécurité de l'exercice des 600.000 infirmières. Ces travaux devront se
faire en concertation avec les organisations signataires.

4. Pour investir dans la qualité de la formation infirmière, gage de pérennité de la
qualité des soins, il faut :
- Donner aux encadrants, notamment les tuteurs/tutrices de stage, un temps
dédié afin d'effectuer le suivi des étudiantes qu'elles/ils encadrent,
- Créer un statut de maitre de stage pour les infirmières libérales afin de
pouvoir faire découvrir l'exercice libéral de façon approfondie aux étudiantes,
- Respecter les engagements pris lors de la Grande Conférence de Santé
sur le développement de la filière et la tutelle pédagogique universitaire,
- Relancer rapidement les travaux de réingénierie des formations
d'infirmières de bloc opératoire, d'infirmières puéricultrices et de cadres de
santé, (niveau Master) avec un engagement sur un calendrier.
- Mettre en place des spécialisations en santé mentale, en santé au travail
et à l'éducation nationale (niveau Master).

5. Afin de permettre aux 116 800 infirmières libérales de France d'exercer
pleinement leurs compétences, il est urgent de :
- Engager une étude macro-économique nationale sur le coût comparé de
prise en charge des patients par offre de soins (HAD vs libéral
notamment),
- Prendre en compte l'ensemble des compétences infirmières et leur donner
de nouvelles attributions, ce qui serait source, en même temps, d'économies
pour la Sécurité Sociale (élargissement du droit infirmier à vacciner, suivi des
malades chroniques et des personnes âgées en risque de dépendance avec
information au médecin traitant…),
- Limiter les pressions administratives

6. Reconnaissance financière de nos exercices en adéquation avec nos
niveaux d'études, de compétences et de responsabilités :
- Permettre la reconnaissance statutaire et indiciaire pour toutes les
professionnelles de la filière infirmière (Grille A type fonction publique),
- Augmenter les compensations financières des contraintes imposées par
nos exercices (prime de nuit et de week-end),
- Réviser la Nomenclature Générale des Actes Professionnels

Conclusion
Les professionnelles de la filière infirmière, quel que soit leur secteur d'activité
sont LE maillon incontournable de la chaîne pluridisciplinaire du soin.
Développer leurs compétences, les reconnaître et leur donner les moyens
d'exercer ne répond pas exclusivement à une ambition professionnelle mais
prioritairement à un réel enjeu de santé publique.
Pour mener à bien la mutation engagée du système de santé et répondre aux
besoins prégnants de la population, le lancement des travaux concernant la pratique
avancée résonne comme une urgence.
Afin d'identifier des éléments probants et d'actualiser nos pratiques
professionnelles de manière cohérente tant en terme de pertinence économique que de
qualité des soins, il est également impératif de développer la recherche en soins
infirmiers.