Paris, le jeudi 23 juillet 2015 – Le président de la commission des affaires sociales du Sénat, Alain Milon (Les Républicains) ne s’en était pas caché : le projet de loi de santé serait profondément remanié lors de son examen par l’institution qu’il préside. Les faits ne l’ont pas démenti : on a assisté hier à un détricotage en règle du texte dont 50 articles ont été supprimés (sur 209 dans la version transmise par l’Assemblée nationale au printemps) et auquel 206 amendements ont été ajoutés.
Et d’abord la forme…
Dans son communiqué récapitulatif, la commission ne cache pas son mépris pour le texte de loi, se refusant à toute neutralité institutionnelle et s’engageant comme un véritable organe politique. « Derrière un intitulé flatteur visant la « modernisation de notre système de santé » se présente en réalité un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre sanitaire dont le caractère disparate, plus souvent déclaratif que normatif a été fortement accentué lors de l’examen par l’Assemblée nationale » observe en guise d’introduction la commission. A l’image de cette présentation peu amène, les critiques sont très nombreuses. Elles concernent d’abord la forme. Les membres de la commission se sont ainsi étonnés que des sujets graves aient pu être traités par le détour d’un amendement, ont moqué plusieurs dispositions relevant « d’une pure volonté d’affichage » et ont restreint les nombreux domaines à propos desquels le gouvernement se réservait le droit de légiférer par ordonnance.
Bye bye (momentanément évidemment) le tiers payant
Au-delà de ces remarques, les suppressions et modifications adoptées par la commission satisferont sans doute les représentants des praticiens libéraux, majoritairement hostiles au texte de loi. Ainsi, la disposition phare et considérée comme la plus vexatoire, imposant la généralisation du tiers payant a été supprimée. Pour justifier cette transformation majeure, les sénateurs avancent tous les arguments développés par les professionnels : la mesure est complexe, elle s’oppose aux principes de la médecine libérale et elle n’est pas une réelle réponse aux problèmes d’accès aux soins (d’autant plus que la dispense d’avance de frais bénéficie déjà aux plus fragiles et aux plus pauvres). Par ailleurs, les élus du Palais du Luxembourg notent qu’elle a « entraîné une crispation inutile, obérant tout progrès, dans les discussions conventionnelles, sur des sujets autrement plus urgents et importants pour notre système de santé ». Les sénateurs sont également revenus sur la volonté du gouvernement et des députés d’exclure du label « service public hospitalier » les établissements privés réalisant des dépassements d’honoraires. « La commission a adopté un amendement visant à maintenir, pour les établissements privés commerciaux, la possibilité qui leur a été reconnue par la loi HPST d’exercer des missions de service public » indique le communiqué.
L’idée de conventionnement sélectif écartée
Sur d’autres points très contestés, la version définitivement adoptée par les députés avait déjà offert des réponses significatives aux inquiétudes des praticiens, notamment en ce qui concerne l’organisation territoriale des soins. Néanmoins, la commission sénatoriale a voulu aller encore plus loin. Plutôt que de conserver la notion de « communautés professionnelles territoriales de santé » créée par le projet de loi, elle préfère revenir à celle de « pôles de santé » initiée par la loi Hôpital patients santé territoire (HPST), estimant « inopportun de remettre en cause à chaque nouvelle loi de santé des dispositifs venant d’être mis en place ». Par ailleurs, quand le texte des députés octroyait en cas d’absence d’initiatives locales un pouvoir contraignant aux Agences régionales de santé (ARS), les sénateurs ont supprimé cette règle. Le champ d’action des ARS (pourtant créée par la loi HPST…) a également été restreint en ce qui concerne les groupes hospitaliers de territoire (GHT) dont la constitution ne pourra jamais être imposée par une décision de l’ARS. Enfin, toujours en ce qui concerne l’organisation des soins, beaucoup se satisferont que la commission n’ait pas retenue la proposition de la commission du développement durable visant à mettre en place un conventionnement sélectif pour empêcher les nouvelles installations dans les zones sur dense (sauf remplacement d’un départ). Cependant, les sénateurs jugent essentiels que cette question des déserts médicaux soit obligatoirement discutée lors du renouvellement de la convention.
Paquet neutre : quand un sénateur socialiste fait fumer Marisol Touraine
Sur le front de la santé publique, la commission n’a également pas été en reste de remaniements majeurs. D’abord, elle a supprimé deux dispositions qui ne figuraient pas initialement dans le texte et dont les sénateurs ont estimé qu’ils étaient des sujets trop complexes pour faire l’objet de simples amendements : « le renforcement du consentement présumé au don d’organe » et la suppression des sept jours de réflexion avant une interruption volontaire de grossesse. Mais ce qui a le plus retenu l’attention est la suppression des dispositions visant à instaurer un paquet de cigarette « neutre », mesure phare du plan anti tabac de Marisol Touraine. Si plusieurs sénateurs Républicains n’ont pas caché leur hostilité à cette disposition, c’est l’amendement d’un élu socialiste qui a été adopté et a entériné la disparition du paquet neutre du texte. C’est principalement pour prévenir les risques de contrefaçon que Richard Yung a fait sienne cette position contraire à celle de son groupe sur ce dossier. « Je pense que l’instauration du paquet neutre risque de porter atteinte au droit des marques » juge celui qui est aussi président du Comité national anti-contrefaçon dans les colonnes de Challenges. Aussi, le sénateur propose-t-il dans son amendement que l’on s’en tienne à l’application de la directive européenne qui prévoit que les avertissements sanitaires recouvrent 65 % de la surface du paquet. Le ministre de la Santé a immédiatement réagi en indiquant que la disposition serait réintroduite par un amendement du gouvernement, estimant que « la santé mérite mieux que ces petits jeux politiques », semblant oublier qu’en l’occurrence les petits jeux s’observent au sein de son propre camp. Le profond remaniement de ce texte n’est pas une surprise et augure de nouveaux débats très vifs en séance plénière : ils débuteront le 14 septembre.
Aurélie Haroche