
Plusieurs études récemment publiées indiquent que le développement d’un vaccin capable de reconnaître des cibles communes à plusieurs familles de coronavirus animaux et humains serait un objectif atteignable sur le plan scientifique. En d’autres termes, créer un vaccin universel anti-coronavirus semble donc possible.
Les coronavirus responsables du SARS (syndrome respiratoire aigu sévère), du MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) et de la Covid-19 appartiennent au genre des Betacoronavirus. Baptisés SARS-CoV-1, MERS-CoV et SARS-CoV-2, ils ont émergé à partir de coronavirus hébergés par des chauves-souris ou des dromadaires avant d’être transmis à l’homme. Parmi les Betacoronavirus, ceux qui circulent chez les civettes, les chauves-souris et les pangolins présentent un degré de parenté génétique important avec le SARS-CoV-1 et le SARS-CoV-2 et utilisent le récepteur humain ACE2 pour infecter les cellules.
Des anticorps isolés chez des individus infectés par le SARS-CoV-1 peuvent neutraliser plusieurs Betacoronavirus, empêchant ainsi l’infection de cellules humaines. Les immunologistes parlent d’anticorps neutralisants « à large spectre » pour désigner ces anticorps dirigés contre une cible commune à des virus différents. Une telle approche consiste à induire ce que les spécialistes appellent une « immunité cross-neutralisante ».
L’objectif est donc de développer un vaccin capable de conférer une immunité protectrice vis-à-vis du SARS-CoV-2 tout en protégeant contre des Betacoronavirus circulants chez certains animaux. Ainsi, de tels vaccins permettraient à l’avenir d’éviter la survenue de pandémies liées à des Betacoronavirus. Il s’agit de concevoir des vaccins contre les Sarbecovirus, un sous-genre de coronavirus qui comprend le SARS-CoV-2, le SARS-CoV-1, de nombreux virus de chauves-souris et certains coronavirus de pangolins dont on considère qu’ils représentent potentiellement un groupe de coronavirus à haut risque d’émergence.

Le domaine RBD (Receptor Binding Domain), région de la protéine spike du coronavirus qui interagit avec le récepteur cellulaire ACE2, est une cible privilégiée des anticorps neutralisants à large spectre.
Dans la revue Nature datant du 10 mai 2021, une équipe américaine a rapporté des résultats encourageants obtenus chez le singe. Les chercheurs de la faculté de médecine de l’université de Durham (Caroline du Nord) ont conçu un système permettant d’augmenter la capacité du RBD à induire une réponse immunitaire. Plusieurs études antérieures ont en effet montré que, présent en plusieurs exemplaires sur des nanoparticules mimant des particules virales, ce domaine RBD peut décupler la réponse immunitaire.
Pour y parvenir, Kevin Saunders, Barton Jaynes et leurs collègues ont greffé de multiples exemplaires de ce motif de la protéine spike du SARS-CoV-2 sur une nanoparticule d’un genre particulier. Ils ont utilisé la ferritine, une protéine sphérique présente dans la bactérie Helicobacter pylori et dont le rôle est de stocker le fer. Celle-ci est composée de 24 sous-unités. Les chercheurs ont réussi à construire des nanoparticules de ferritine hérissées à leur surface de 24 séquences RBD. Ils ont montré que ces nanoparticules se lient au récepteur cellulaire humain ACE2, cible naturelle du coronavirus, et qu’elles induisent la production d’anticorps spécifiques anti-RBD chez l’animal.
Cinq macaques cynomolgus ont été immunisés à trois reprises par voie intramusculaire à quatre semaines d’intervalle. Ils ont reçu 100 microgrammes de ces nanoparticules porteuses du RBD du SARS-CoV-2 en association à un adjuvant*. Les immunisations ont été bien tolérées par les macaques. Elles ont entraîné la production d’anticorps IgG dirigés contre le RBD. Une dose de rappel a permis d’augmenter dans le sérum des singes vaccinés le taux (titre) d’anticorps capables de se fixer au récepteur ACE2.
Les chercheurs ont comparé ces titres en anticorps avec ceux obtenus suite à l’immunisation de macaques par des nanoparticules identiques à celles retrouvées dans un vaccin ARN, c’est à dire contenant un ARN messager codant la protéine spike.
Les titres en anticorps étaient plus élevés après vaccination avec des nanoparticules porteuses de multiples RBD qu’après deux immunisations avec de l’ARN messager encapsulé dans des nanoparticules lipidiques. Ces expériences ont été menées en utilisant, non pas des SARS-CoV-2 infectieux, mais des pseudovirus exprimant à leur surface une protéine spike porteuse de la mutation D6134G (souche de référence avant l’émergence des nouveaux variants). Ces tests de séro-neutralisation ne nécessitent donc pas de confinement en laboratoire de sécurité, ce qui facilite leur mise en œuvre.

Des nanoparticules plus performantes que l’ARN messager
Les titres en anticorps obtenus après immunisation par des nanoparticules de ferritine porteuses de nombreux exemplaires de RBD étaient plus élevés que ceux enregistrés après l’infection naturelle par le SARS-CoV2. Ces nanoparticules, couplées à l’adjuvant 3M-052/alun, s’avèrent donc plus performantes que les vaccins actuels à ARN messager, ou que l’infection naturelle, pour induire une réponse en anticorps neutralisants.
Les chercheurs ont ensuite évalué la capacité de nanoparticules de ferritine porteuses du RBD ou de nanoparticules lipidiques à base d’ARN messager à induire la synthèse d’anticorps neutralisants contre des variants préoccupants, en l’occurrence vis-à-vis du variant anglais B.1.1.7, du variant sud-africain B.1.351 et du variant brésilien P.1.
Il s’avère que, chez des macaques, les nanoparticules, qu’elles soient constituées de ferritine chargées de RDB ou de lipides renfermant de l’ARN messager, induisent une production d’anticorps neutralisants contre le variant anglais B.1.1.7. En revanche, pour neutraliser le variant sud-africain B.1.351 et le variant brésilien P.1, les titres en anticorps générés par la vaccination par les nanoparticules porteuses à leur surface de multiples copies de RBD se révèlent plus élevés que ceux produits après immunisation par de l’ARN messager encapsulé dans des nanoparticules lipidiques.
Les chercheurs ont alors évalué la capacité neutralisante des anticorps induits par la vaccination vis-à-vis du coronavirus responsable du SARS (SARS-CoV-1) et de deux Betacoronavirus de chauves-souris (batCoV-WIV1 et batCOV-SHC014). Trois catégories de nanoparticules (porteuses de multiples copies de RBD ou lipidiques renfermant l’ARN messager codant soit le RDB, soit la protéine spike entière** (S-2P) ont été évaluées.
Ces formulations vaccinales ont entraîné la production d’anticorps neutralisants contre le SARS-COV-1, batCoV-WIV1 et batCOV-SHC014. Là encore, les titres en anticorps neutralisants les plus élevés ont été observés après vaccination par des nanoparticules porteuses à leur surface de répétitions du domaine RBD. Un léger gain en termes de capacité de neutralisation a été obtenu après un rappel (troisième injection). L’immunisation par des nanoparticules porteuses du RBD a induit la production d’anticorps reconnaissant les protéines spike du SARS-CoV-2, du SARS-CoV-1 mais également celle de deux coronavirus de chauves-souris, RATG13 et SHC014, ainsi que d’un coronavirus du pangolin (CoVGXP4L). En revanche, les anticorps générés par cette immunisation ne se fixaient pas sur la protéine spike du MERS-CoV-2.
Enfin, les chercheurs ont évalué la protection conférée par les deux types de nanoparticules chez des singes vaccinés auxquels le SARS-CoV-2 a été inoculé par voie intratrachéale et intranasale après le dernier rappel. Les animaux ont tous été protégés. Deux jours après l’injection du virus, ce dernier était en effet indétectable dans les parties haute et basse de l’appareil respiratoire. Chez la plupart des macaques immunisés par l’une ou l’autre catégorie des nanoparticules (porteuses de multiples copies de RBD ou à ARN messager), l’ARN du SARS-CoV-2 n’a pas été détecté dans les prélèvements nasaux, ni dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire.
Vaccin « pan-coronavirus »
Au cours de ces vingt dernières années, trois épidémies dues à des coronavirus sont survenues : le SARS fin 2002, le MERS en 2012, la COVID-19 en 2019. Cela montre la nécessité de disposer d’un vaccin capable de protéger contre plusieurs coronavirus. Autrement dit, de développer un vaccin « pan-coronavirus » avant la prochaine pandémie.
Les résultats rapportés par cette équipe américaine représentent une étape importante vers cet objectif dans la mesure où ils montrent que l’immunisation par des nanoparticules exposant à leur surface de multiples exemplaires du RBD (et dans une moindre mesure des nanoparticules renfermant de l’ARN messager), en association avec un puissant adjuvant, sont capables d’induire chez des macaques la production d’anticorps neutralisants contre deux coronavirus humains (SARS-CoV-2 et SARS-CoV-1) mais également contre des coronavirus de chauves-souris. Ces anticorps neutralisants à large spectre ont donc le potentiel de s’attaquer à des coronavirus animaux qui auraient été transmis à l’homme en franchissant la barrière d’espèce.
Les vaccins reposant sur des nanoparticules présentant à leur surface de nombreux motifs RBD constituent ainsi une approche prometteuse pour le développement de vaccins pan-coronavirus. Elles permettent d’obtenir une réponse en anticorps neutralisants au niveau de la partie supérieure de l’appareil respiratoire, ce qui n’avait jamais été observé jusqu’à présent chez le macaque. Par ailleurs, des titres extrêmement élevés ont été obtenus suite à la vaccination par ce type de nanoparticules couplées à l’adjuvant 3M-052, ce qui laisse présager une durée de protection importante.
Cette approche vaccinale pourrait donc préfigurer ce que pourrait être une plateforme de production de vaccins pan-coronavirus destinés à empêcher, ou à rapidement ralentir, la prochaine pandémie due à un coronavirus qui aurait franchi la barrière d’espèce entre l’animal et l’homme.
Nanoparticules « mosaïques »
Ce n’est pas la première fois que des chercheurs montrent la capacité de nanoparticules à induire une immunité cross-neutralisante vis-à-vis de coronavirus. En février 2021, une équipe américano-britannique (universités d’Oxford et Rockefeller de New York) ont produit des nanoparticules dont la surface est parsemée de motifs RBD provenant de quatre à huit coronavirus de chauves-souris (originaires de Chine, de Bulgarie, du Kenya) et de RBD provenant du SARS-CoV-2. Après une seule injection à des souris, ces nanoparticules « mosaïques » sont capables d’induire la synthèse d’anticorps neutralisants dirigés contre le SARS-CoV-2 mais également contre des Betacoronavirus de chauves-souris. Ces nanoparticules présentent donc l’avantage d’induire des anticorps contre des coronavirus animaux émergents, potentiellement capables d’infecter l’homme en franchissant la barrière d’espèce.
Publiée le 10 mai sur le site bioRxiv, une étude dirigée par des chercheurs du Walter Reed Army Institute of Research (Silver Spring, Maryland) a montré que des nanoparticules de ferritine exposant de nombreux motifs RBD à leur surface permettent d’induire la production d’anticorps dotés d’une puissante activité neutralisante contre le SARS-CoV-2, des variants préoccupants et le SARS-CoV-1. De plus, il s’avère que l’administration d’anticorps produits par des souris vaccinées permet de protéger des souris non vaccinées d’une injection mortelle de SARS-CoV-2.
Identifier de nouvelles cibles
Une équipe internationale, composée de chercheurs de l’université Washington (Seattle), de l’Institut Pasteur (Paris), de l’université d’Utrecht (Pays-Bas) et des Instituts de biomédecine de Guangzhou (Chine), a rapporté avoir isolé un anticorps monoclonal qui reconnaît la protéine spike de huit Betacoronavirus différents. Ces chercheurs ont découvert que cet anticorps a pour cible une petite région (épitope) située dans la tige (stem helix) de la sous-unité S2 de la protéine spike, région qui permet au coronavirus de fusionner avec la membrane cellulaire. De fait, il a été montré que la fixation de cet anticorps sur cet épitope entrave la machinerie de fusion entre le virus et la cellule.
Parue le 12 mai 2021 dans la revue Nature Structural & Molecular Biology, cette étude a ainsi permis de révéler une nouvelle cible pouvant être exploitée pour développer un vaccin pan-Betacoronavirus. Il s’agirait donc de concevoir un vaccin capable d’induire des anticorps spécifiquement dirigés contre cette région de la sous-unité S2.
D’autres coronavirus attendent leur tour pour frapper
La menace augmente de voir d’autres coronavirus sauter la barrière d’espèce et provoquer de nouvelles pandémies. Il y a plusieurs raisons à cela qui tiennent principalement à l’accroissement des interactions entre l’homme et la faune sauvage, à la transformation des écosystèmes, à l’urbanisation, aux nouvelles pratiques agricoles, à la modification de l’écologie des chauves-souris. Autant de facteurs qui favorisent le risque que l’homme entre en contact avec des animaux pouvant héberger des virus ayant un potentiel endémique. Les innombrables transports aériens nationaux et internationaux font qu’il n’a jamais été aussi facile pour une flambée épidémique de se transformer en véritable épidémie et que celle-ci finisse éventuellement par devenir une pandémie. À cet égard, la mise au point d’un vaccin universel anti-coronavirus apparaît donc aujourd’hui comme une nécessité pour se préparer à l’émergence, tôt ou tard, d’un SARS-CoV-3.
« Le SARS-CoV-2 s’adapte rapidement aux humains, et d’autres nouveaux coronavirus sont en train de muter, de se recombiner et de se répliquer dans les chauves-souris et dans d’autres espèces animales en vue de franchir la barrière d’espèce à un moment quelconque dans l’avenir. Si nous choisissons d’attendre l’émergence du prochain coronavirus, il sera peut-être trop tard, comme ce fut le cas pour la Covid-19. Créer les outils pour prévenir la prochaine pandémie de coronavirus est à notre portée et devrait être considérée comme une priorité de santé mondiale. Nous pouvons soit investir maintenant ou le payer plus tard au prix fort », déclaraient dans un éditorial publié en février dernier dans la revue Science Wayne Koff (Human Vaccines Project, New York) et Seth Berkley (Gavi, The Vaccine Alliance, Genève). En d’autres termes, la recherche vaccinale sur la Covid-19 devrait être l’occasion de travailler parallèlement à la mise au point de vaccins pan-coronavirus qui nous permettraient de nous protéger d’une autre Covid.
Plutôt que de s’acharner dans les mois et années à venir à développer des vaccins à ARN messager contre de nouveaux variants du SARS-CoV-2 qui ne manqueront pas d’émerger, certains chercheurs estiment donc judicieux de développer un vaccin pan-coronavirus qui permettrait d’avoir un coup d’avance sur le prochain coronavirus émergent qui pourrait d’ailleurs être plus virulent que l’actuel SARS-CoV-2. Idéalement, cette stratégie vaccinale permettrait de vaincre l’actuelle pandémie Covid-19 tout en s’armant contre la prochaine.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* L’adjuvant utilisé est le 3M-052. Il s’agit d’un agoniste des Récepteurs Toll-Like (TLR) TLR7 et TLR8, qui jouent un rôle clé dans le système immunitaire adaptatif en l’avertissant de la présence d’une agression microbienne. Cet adjuvant est adsorbé sur de l’alun.
** Il s’agit de la protéine spike transmembranaire stabilisée par l’introduction de deux prolines (K986P/V987P). Baptisée S-2P, elle est analogue à celle utilisée dans des vaccins anti-Covid-19.