Depuis 2009, les tarifs des infirmières libérales n'ont pas évolué. Un pansement est toujours facturé 6,5 euros dont il faut déduire 64% de charges, car le prix des fournitures offertes par les infirmières a progressé, lui, avec l'inflation. Récit d'une profession en colère.
Le CILEC, Collectif Infirmiers Libéraux en Colère est né après le Covid, du désarroi d’une profession dont les tarifs n’ont pas été revalorisés depuis quinze ans. A cette « colère financière » s’ajoute une véritable amertume, venue de la dégradation des conditions d’exercice : les infirmière qui avaient gagné pendant la crise sanitaire une nouvelle autonomie voient leur marge de manoeuvre se réduire à nouveau sensiblement.
Gaëlle Cannat exerce près d’Aix en Provence, dans une commune aisée explique cette jeune femme aux longs cheveux bouclés. Elle a pris le train de 5 heures et demie du matin ce jour là pour rejoindre sa collègue Alexandra Veyret de l’agglomération grenobloise et monter à Paris afin de « parler » au nom de toutes leurs collègues.
Ces femmes ne veulent plus, disent-elles, que leur voix soit confisquée. Alors, avec d’autres collectifs de soignants, plus anciens et plus renommés (les Collectifs Inter Hôpitaux, Inter Urgences ou Santé en danger) les voilà aux porte de la Porte de Versailles où se tient la grande SantExpo. Plusieurs pavillons du Parc des expositions y célèbrent, en ces jours pluvieux de mai, les cent ans de la Fédération Hospitalière de France. Ce réseau d’influence centenaire regroupe les directeurs d’hôpitaux et reçoit traditionnellement, lors de cette grand messe annuelle, la visite des ministres en charge de la Santé.
Disposer d’un stand et d’une pièce au sein de SantExpo pour exposer - le mot est bien choisi - leurs revendications, aurait coûté à chaque collectif 3 500 euros. Ils se sont donc cotisés pour s’installer au bar d’en face et y convoquer la presse. Le joli recoin mis à leur disposition a coûté à chaque groupement vingt et une fois moins cher, disent les militants en plaisantant, qu’un stand à SantExpo. En plus les journalistes invités payent leur café cash, au bar.
Le ton de la conférence, pourtant, est moins léger que ne le laisse à penser cette entrée en matière. Il y a péril en l’hôpital, dit chacune des corporations. Et pour les infirmières libérales, qui exercent à domicile, le métier est même en « danger de mort » diagnostique leur collectif.
Et d'expliquer comment le mouvement des infirmiers en Colère est né sur les décombres du Covid.
D’abord, les tarifs sont gelés depuis 2009 ce qui, en période de forte inflation, devient insupportable. Pire, renchérissent Gaëlle et Alexandra, depuis quelques mois, la sécurité sociale rembourse même moins qu’avant les actes les plus « lourds » qu’elles acceptent d’effectuer à domicile.
Autopsie d’un malaise grandissant.
On assiste donc à deux colères qui se juxtaposent, dit Alexandra, "une colère humaine, parce qu'on n'a pas été soutenues et qu'on a l'impression d'être méprisées par le gouvernement. Et une colère financière : il faut savoir qu'il y a des infirmiers qui refusent certains soins parce que ça leur coûte de l'argent". Face à cette diminution de leurs revenus, certaines professionnelles sont obligées, expliquent Alexandra et Gaëlle, de renoncer à soigner certains malades.
Assez récemment certains actes infirmiers ont été "forfaitisés". C'est le cas par exemple des soins aux personnes les plus dépendantes. Mais ces nouveaux forfaits sont moins avantageux que l'ancien système. Au point que les infirmières - qui acceptent par exemple de s'occuper d'un malade en soins palliatifs à domicile - ont perdu plus de 3 euros par jour avec le nouveau barème de remboursement. C'est un comble protestent Alexandra, suivie de Gaëlle .
Un métier qui a perdu en autonomie depuis le Covid
Gaëlle et Alexandra voulaient croire qu’il y aurait un « monde d’après » la crise sanitaire car, pendant la pandémie, leur profession a pu « faire plein de choses. On a eu le droit de faire des tests antigéniques, on a eu le droit de vacciner. Tout cela sans ordonnance, ce qui était normal parce qu’il y a plein de choses qu’on sait faire », dit Gaëlle. Mais ensuite, au lieu de voir évoluer leur profession vers plus d’autonomie, les infirmières ont très mal vécu le retour au statut quo ante. Il leur a fallu à nouveau travailler à domicile sous la supervision des médecins alors qu’elles estiment avoir les compétences pour prendre en charge certains soins au titre de leur « rôle propre ». Rappelons que la profession est très encadrée par le Code de la santé publique : chaque acte autorisé se voit attribuer un tarif, négocié avec l’assurance maladie et il est systématiquement spécifié si l’infirmier peut prendre l’initiative de cet acte ou s'il doit l’exécuter à la demande un médecin.
Or le "rôle propre" qui a été octroyé aux infirmières en 1978 n'est pas vraiment reconnu à domicile. Il faudrait, d'urgence que le métier évolue affirment les militantes. Et ce ne serait que justice, car cela viendrait entériner une réalité de terrain.
A présent les infirmières libérales espèrent des négociations avec l'Assurance Maladie. Elles ont rencontré le Ministre délégué en charge de la santé en avril, après leur manifestation parisienne. Frédéric Valletoux a promis qu'il y aurait du changement. Que leur rôle propre serait réaffirmé. Et que des négociations tarifaires allaient bien s'engager à l'automne. Mais Gaëlle et Alexandra se veulent encore prudentes. Elles rappellent que certes, leur rôle propre existe depuis 1978, mais surtout qu'elles ne partent aujourd'hui à la retraite qu'à l'âge de 67 ans .
Le calendrier des négociations n'est pas encore connu, mais Frédéric Valletoux a parlé de l'automne. Les infirmières espèrent surtout que les tarifs seront revalorisés pour Noël. Plus qu'un cadeau, ce serait une reconnaissance bien méritée estiment les militantes. Faute de quoi, dit aussi leur collectif, 58% des cabinets pourraient fermer dans les mois qui viennent. C'est un résultat issus d'une enquête menée auprès des infirmières libérales que le CILEC a pu consulter. Pour Alexandra "ce n'est pas une menace, ces fermetures. Ce sont déjà une réalité".